Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain

3 février 2024 § 2 Commentaires

Vue du Platon Citron depuis le Morne Campan (©wikimédia)

Écrit en 1944, Gouverneurs de la rosée est considéré comme le chef-d’œuvre de Jacques Roumain. Membre de la haute société haïtienne, son grand père, Tancrède Auguste, a même occupé la Présidence de la République en Haïti de 1912 à 1913.

Jacques Roumain va étudier en Europe, en Belgique, en Suisse, en Allemagne et en France. Il revient à Port-au-Prince à l’âge de 20 ans (1927) où il fonde la revue Indigène, revue de poésie et de littérature. Très engagé contre l’occupation américaine, fondateur en 1934 du Parti communiste haïtien, il est régulièrement poursuivi par la police et la justice. Il est contraint à l’exil en 1937 et se rend en Belgique, puis en France. Revenu en grâce, c’est à Mexico qu’il rédige Gouverneurs de la rosée.

Manuel, qui est parti travailler dans les plantations de canne à sucre de Cuba, reviens après quinze ans d’absence. Il ne reconnaît pas son village de Fonds-Rouge. Le paysage, déboisée, souffre d’aridité et tout n’est que poussière là où Manuel se rappelle un paradis perdu de verdure, d’abondance et de terre fertile. Bien plus, là ou régnait la fraternité et le coumbité, le travail collectif, la communauté est aujourd’hui profondément fracturée à la suite d’un partage foncier raté. Tel quel, les villageois ne peuvent s’en sortir. Manuel, fort de son expérience syndicale cubaine, décide de rassembler la communauté autour d’un projet commun, amener l’eau d’une source au village et ainsi permettre à tous de redevenir des gouverneurs de la rosée, des paysans fiers vivant de leur travail de la terre, de l’entraide et de la fraternité.

« – Ce que nous sommes ? Si c’est une question, je vais te répondre : eh bien, nous sommes ce pays et il n’est rien sans nous, rien du tout. Qui est-ce qui plante, qui est-ce qui arrose, qui est-ce qui récolte ? Le café, le coton, le riz, la canne, le cacao, le maïs, les bananes, les vivres et tous les fruits, si ce n’est pas nous, qui les fera pousser ? Et avec ça nous sommes pauvres, c’est vrai, nous sommes malheureux, c’est vrai, nous sommes misérables, c’est vrai. Mais sais-tu pourquoi, frère ? À cause de notre ignorance : nous ne savons pas encore que nous sommes une force, une seule force : tous les habitants, tous les nègres des plaines et des mornes réunis. Un jour, quand nous aurons compris cette vérité, nous nous lèverons d’un point à l’autre du pays et nous ferons l’assemblée générale des gouverneurs de la rosée, le grand coumbite des travailleurs de la terre pour défricher la misère et planter la vie nouvelle. » (p. 70)

Écrit dans une langue savoureuse, faite toute entière de poésie et de créole, Gouverneurs de la rosée se lit d’une traite. Profondément inséré dans le paysage, l’homme observe la nature, les cycles du jour et de la nuit et, surtout en ces tropiques, le couchant comme l’aube, avec ses couleurs, ses ombres. Tout n’est que bruissement et appétit de vivre, vous sentirez la poussière coller à votre palais, le désir de l’ombre vous ramener sous le calebassier. Ainsi, dans cette nature où rien ne semble changer, chaque jour étant la répétition de la veille, la dramaturgie de l’histoire s’installe et, telle une horloge, suit implacablement son cours. Qui va-t-elle broyer ? Comment les acteurs font-ils pour résister au fatum ?

« La mort fait son tri comme un aveugle choisit des mangos au marché : elle tâtonne jusqu’à trouver les bons et elle laisse les mauvais. C’est la vérité et c’est pas juste. » (173)

Lorsque vous fermez ce petit ouvrage, un regret vous étreint soudain : pourquoi n’avez-vous pas connu plutôt son existence ? Comment avez-vous pu passer à côté du destin de Manuel, de la belle Annaïse ? Et de tous les villageois aux noms chantants, Louisimé Jean-Pierre, Laurélien Laurore, Dieuville Riché, Saint-Julien Louis…

J’attends avec une grande confiance vos retours.

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