Le Livre de la brousse de René Maran

14 mars 2020 § Poster un commentaire

Au pays de M’Bala, l’éléphant (©Pixabay).

Publié en 1934, Le livre de la Brousse est un roman qui met en scène un homme, un héros, le Banda Kossi. Il signe le grand retour de René Maran dans la sphère romanesque. En effet, après le scandale de Batouala, Maran s’était lancé dans les contes animaliers avec Djouma, chien de brousse ou Youmba la mangouste. Enfin, kossi, le héros, s’il naît à la toute fin du premier chapitre, n’apparaît pleinement qu’au chapitre trois. Le véritable héros du livre est… la brousse. Un espace où il ne se passe rien sinon une multitude de petits faits discrets. Et c’est la grande force de ce roman. On découvre les petits bruits de cette brousse, les observations de Doppélé le charognard, les désirs de Mourou, la dangereuse panthère noire. Et nous ne parlerons pas du fourbe caïman Moumeu. Et Kossi est un des protagonistes de cette brousse. Nous connaîtrons donc ses pensées, ses désirs (notamment pour la belle Yassi). C’est aussi l’occasion pour l’auteur de nous détailler les délicieux plats qui font le quotidien des hommes, de nous égailler de quelques contes africains, comme l’exquise Palabre du lion et du lapin, mais encore de nous décrire la chasse au feu, la guerre ou les obséques.

Tout le génie, la méticulosité de René Maran apparaît dans ce beau roman. La nuit africaine, l’aube et le crépuscule, sont l’occasion de pages splendides où l’auteur s’efforce de nous faire saisir l’invisible. En effet, ce n’est pas tant le lever ou le coucher du soleil qui importe, car, sous les tropiques, il n’y en a pas : « la nuit et ses ombres se diluaient en une sorte de honteux crépuscule où les ténèbres paraissaient moins hostiles » (p. 60). Et la magie de ce spectacle, c’est la nature qui le rend. Les insectes, mais aussi la végétation que le vent pousse, « le gémissement des herbes mouillées, le chant des feuilles moites » (p. 57). Ce sont mille et un petits micro-événements qui chaque jour recommencent. Aussi, nombreux sont les chapitres qui commencent aux cris du coq, qui se terminent en même temps que Ipeu, la lune, apparaît.

Il y a une dimension ethnographique du Livre de la brousse. Le Blanc n’est qu’une lointaine rumeur et Kossi est enserré dans le carcan de sa culture, de ses règles et de ses croyances. Pourra-t-il s’en affranchir ? Léopold Sedar Senghor évoquait, à propos de ce livre, l’admirable synthèse du monde occidental et de l’Afrique primitive. Kossi est un des éléments de la brousse et Maran décrit avec respect et amour ses actions, ses affres. Nul jugement. C’est une des particularités de l’œuvre de Maran que de refuser la comparaison avec l’occidental. Kossi pense et agit en Banda et il ne convient nullement d’étalonner cela à une autre norme de vie. C’est toute la grande force du Livre de la brousse. Kossi, fier chasseur, grand amoureux, est néanmoins jaloux de Tougoumali, son rival, alors que la belle Yassi n’a de regards que pour lui. En un mot, Kossi est un homme pareil aux autres, alors que Maran, français de naissance, français de culture, ne cesse de recevoir en pleine gueule sa couleur, ne cesse d’être renvoyé à une Afrique qui n’est que le berceau lointain de ses ancêtres, au pire un atavisme. En effet, « il n’y a ni bandas ni mandjias, ni blancs ni nègres ; – il n’y que des hommes – et tous les hommes sont frères (Batouala, p. 121). »

 

Tagué :, , ,

Laisser un commentaire

Qu’est-ce que ceci ?

Vous lisez actuellement Le Livre de la brousse de René Maran à Les 100 livres.

Méta