Mariage à la mode de Katherine Mansfield

27 avril 2024 § 3 Commentaires

Edward S. Curtis, Écouter une histoire, c1904. (Photographie montrant Walter Russell assis sur une plage avec Nicholas et Quentin Roosevelt à Sagamore Hill. (Library of Congress).

Le bonheur des boîtes à livres, c’est de retrouver ce qui faisait le sel des librairies avant que le livre ne deviennent un objet avec une DLUO de trois mois. Que m’importe ces nouveautés grassement étalées sur les bancs des libraires modernes ? Déjà, elles sentent le défraichie, le pilon qui les attend…

Or, la Boîte à livres, justement, charrie et l’ivraie et le trésor. Ainsi, près de chez moi, traînait un folio, même pas froissé… Katherine Mansfield ? Pourquoi pas ? Pour une raison que je n’ose m’expliquer, les trois quarts du petit volume sont occupés par une autre nouvelle dont le titre n’apparaît pas sur la couverture, La Baie. Or si Mariage à la mode possède quelques qualités, La Baie est une authentique perle !

Une journée de vacances à Crescent Bay, la bien nommée. La nouvelle, en suivant les heures de la journées, passe de groupe en groupe, s’arrêtant parfois sur un individu, détaillant une saynète. En tout, douze histoires qui ne concernent qu’une famille. Ainsi, cela commence…

« Très tôt le matin. Le soleil n’était pas encore levé, et Crescent Bay disparaissait entièrement dans une brume blanche qui s’élevait de la mer »

Pour se clore une soixantaine de pages plus loin par un « Tout était tranquille ».

Douze heures si insignifiantes dans leur ordonnancement. Un berger, une baignade, des jeux d’enfants… Et tout le génie de Katherine Mansfield repose dans ces petits riens. Sa biographie nous indique qu’elle a bénéficié d’une formation de violoncelliste et qu’elle s’éprend, à Londres, des frères Trowell. Arnold le violoncelliste virtuose avec qui elle a une liaison, Garnet, le violoncelliste qu’elle épouse pour en divorcer le jour même. Qu’est-ce qui fait que l’on reconnaît immédiatement certains violoncellistes ou violonistes ? La manière dont ils font vibrer leur instrument ! Ils jouent la même chose, et pourtant, l’émotion produite n’est pas la même… Katherine Mansfield se sert de sa plume comme d’un violoncelle. Dans le vibrato qu’elle produit se nichent la joie, la mélancolie, la nostalgie, la peur et l’amour. Mille émotions qui n’appartiennent qu’à notre cœur. Une senteur, un rayon de lumière l’a fait ressurgir uniquement pour nous, invisible au monde extérieur et surtout aux autres.

« Ah ! ces hommes ! » dit-elle, et elle plongea la théière dans la bassine et continua à la maintenir sous l’eau même après que les bulles eurent cessé de s’en échapper, comme si c’était un homme et que la noyade était encore un sort trop doux.

Un des fils de cette nouvelle concerne l’amour. L’amour sous toutes ses formes. Mais également les amours interdites. Mais rien n’affleure. Il faut déguster cette nouvelle en lui consacrant les quelques heures qu’elle demande, pour sentir la vibration qui la sous-tend, l’impérieuse vitalité cachée sous les convenances, les non-dits, la brume qui soustrait aux regards la réalité,

Il n’y avait pas, au-delà, de dunes blanches couvertes d’herbes roussâtres ; rien qui marquât la frontière entre la plage et la mer.

Et pourtant…

Un excellent article du Monde sur Katherine Mansfield et son œuvre, ici.

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§ 3 réponses à Mariage à la mode de Katherine Mansfield

  • J’avais lu « la garden party » de Katherine Mansfield avec un très grand plaisir. C’est vraiment une nouvelliste très subtile et d’un sens psychologique incroyable. Je suis 100% d’accord avec ce que vous dites sur les nouveautés littéraires…

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    • J’aimais parcourir les tables des librairies et me laisser surprendre. C’est de plus en plus difficile et la segmentation toujours plus fine du marché (pages turner, new romance, …), le recours aux séries (franchises ?) n’améliorent rien. Mansfield et bien d’autres n’auraient aucune chance aujourd’hui : pas de case !

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