Le voyage d’Anna Blume de Paul Auster

8 décembre 2018 § 3 Commentaires

Interior Mezzanine of Michigan Central Station, Detroit.

Intérieur de la Mezzanine de la Michigan Central Station, Detroit. (Wikimedia).

En ce 8 décembre 2018, la foule des grands samedis se presse dans la rue Sainte-Catherine. Il faut se frayer un passage entre les chalands chargés de paquets. La nuit tombe et les illuminations de Noël égaillent cette morne journée d’automne. Il ne manque que les chants de Noël ! Finalement, on s’aperçoit, tout en slalomant pour éviter les piétons, que l’étrange luminosité n’est pas due aux lampions et autres guirlandes. Non, certains magasins ont diminué leurs éclairages. Bien souvent, derrière la vitrine éclairée a giorno, c’est la pénombre qui domine. Et l’on prends conscience du bruit insidieux de l’hélicoptère qui tourne au-dessus de nos têtes. Des magasins ont fermé leurs portes d’accès. Pas tous. Promenade Sainte-Catherine, les grilles sont à moitiè tirées. De même, pour pénétrer à la FNAC. À la sortie de la promenade, alors qu’un vigile tente d’empêcher un livreur motorisé de pénétrer, une odeur âcre pique les yeux. Entre deux éternuements, une vérité apparaît : les gilets jaunes ! Utiliser son écharpe comme un masque pitoyable,  s’essuyer les yeux. Toujours la même foule affairée, certains, comme moi, utilisent une écharpe en guise de masque. Comme si la situation était normale. Soudain, des explosions violentes. Un touriste m’interpelle en anglais. Il me faut le rassurer. Ce n’est rien. La police tire des grenades. Il n’y a pas lieu de s’affoler. Le gaz des grenades devient plus preignant. La foule semble toujours aussi apathique, tout juste si l’on croise quelques personnes revêtus de la veste jaune. Quelques jeunes arborent des masques professionnels de peintres. Et, du tréfonds de ma mémoire, un nom surgi. Anna Blume. L’histoire de cette jeune fille qui écrit une longue lettre pour narrer sa quête de son frère disparu William. L’histoire  d’Anna Blume, élevée dans un milieu aisé et à l’abri du besoin, qui entame un douloureux voyage initiatique, dont on se demande parfois s’il ne s’agirait pas plutôt d’un mauvais rêve. Dans ce pays sans nom, dans cette ville hypothétique, cette jeune fille dynamique s’adapte. Apprend la violence, apprend à survivre. Très vite, elle s’occupe de sa famille, de son père, incapable, par refus, de s’adapter aux nouvelles conditions, la pénurie, la faim, la violence omniprésente et l’absence complète de l’Etat, de ses services publics. Il me revient aussi combien Anna Blume est une douce jeune fille, qui refuse d’abandonner ses rêves, sa relation aux autres. Ce que l’on nomme sympathie et empathie. Et pourtant, petit à petit, sous sa plume, un Monde – son Monde ? Ou notre Monde ? – se désagrège.

Je ne développe pas plus. Paul Auster a publié cet étrange roman dans les années 1980. Mi conte, mi science-fiction, mi roman épistolaire, mi … C’est le génie propre de Paul Auster de parvenir à brouiller les cartes. Et sa capacité à enchanter le quotidien fait merveille. Le récit, un peu froid et sans affect fini par s’enrichir. La violence devient de plus en plus visible. Et Anna cherche ce frère disparu. Les méandres de l’histoire font que, petit à petit, le lecteur se fait une idée du scénario et du destin de William. Pas Anna. Et c’est un des aspects très étonnant de ce livre : assaillir le lecteur de sensations, de sentiments, d’émotions, alors même que l’histoire repose sur d’autres affects qui n’ont rien à voir. Le titre original était In the country of last things. Peut-être bien meilleur que le titre français. Mais, assurément, le titre français ajoute une autre dimension, plus inquiétante.

J’avais totalement oublié ce livre.  Trop différent de la trilogie new-yorkaise. Trop différent tout court. Inclassable. Et le voici, si clair, comme si je l’avais lu hier. La preuve certaine d’un grand roman et d’un grand écrivain.

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